Françoise Pasquier (1944-2001) a participé de manière active au mouvement de libération des femmes, en particulier en créant avec Françoise Petitot* et Yolaine Simha* (elles étaient trois au départ) les éditions Tierce (1977-1993) qui allaient devenir l'un des lieux de la pensée féministe. Elle y hébergea des revues comme La Revue d’en face, Questions féministes ou les Cahiers du Grif et publia essais, romans, récits qui sont devenus des références incontournables du féminisme.
*Une juste correction qui explique (en partie) le nom de la maison d'édition : Tierce.
Le 6 juin 2012 à 19h
la librairie Violette and Co
et l'association des ami-e-s de Françoise Pasquier
lui rendent hommage
Une quarantaine de titres de livres et une vingtaine de revues seront mis en vente début juin à la librairie Violette and Co. Ils seront présentés à la soirée d’hommage et resteront en rayon jusqu’à épuisement des stocks.
Dans LIBÉRATION du 24 novembre 1977 - Par Martine Storti
Un mot des libraires Christine Lemoine et Catherine Florian :
Depuis le tout début de la librairie Violette and Co, nous voulions rendre hommage à Françoise Pasquier dont le travail éditorial au sein de Tierce a marqué nos lectures féministes de jeunesse. Ce sera fait le 6 juin, grâce à l’Association des amies de Françoise Pasquier. L’une de nous, Christine, avait rencontré Françoise à une ou deux occasions dans son repaire de la rue des Fossés Saint-Jacques et le personnage autant que les livres qui tapissaient les murs l’avait impressionnée. Nous remercions ici chaleureusement toutes celles de l’Association des amies de Françoise Pasquier qui ont participé activement à cet événement et qui ont bien voulu que des livres des éditions Tierce soient maintenant chez Violette and Co.
Biographie + catalogue : nous publirons prochainement ici la biographie de Françoise Pasquier ainsi que le catalogue des éditions Tierce et Deuxtemps Tierce.
Françoise Pasquier avec Evelyne le Garrec, Nancy Huston et ?, pour la parution du numéro 0 d'Histoires d'Elles - 8 mars 1977 - © Cathy Bernheim
Un texte écrit pour l'un des premiers catalogues des éditions Tierce - Cathy Bernheim
Il peut arriver qu'égarer tout au fond des Fossés St Jacques, vous poussiez la porte d'une petite boutique adossée au Quartier Latin : vous trouverez Françoise, tapie là depuis 1977. Et si vous parvenez à enjamber les caisses de livres qui la protègent du monde, vous pourrez conter aux générations futures votre visite à la seule maison d'édition féministe qui soit actuellement en France. Vous leur direz que, sur les étagères époussetées de frais, vous avez vu Calamity Jane donner la main à Natalie Clifford-Barney (ça semblait pas lui déplaire) tandis que non loin de là, des dissidentes féministes de l'Etat Soviétique parcouraient avec une fausse nonchalance, l'air à la fois proche et lointain, les pages du Petit Larousse à la recherche de sa sexualité. Vous leur raconterez comment, aventurière partie en quête de l'histoire inconnue des femmes, vous l'avez découverte, éparpillée dans ces revues à tirage limité créées par des femmes au courage illimité, dans ces ouvrages sur lesquels la grande presse, souvent si tapageuse, devient singulièrement discrète, dans ces rapports et ces chansons, ces enquêtes et ces poèmes qui témoignent de la richesse, de la diversité de la pensée et de l'expression féministes en ce dernier quart du XXe siècle. Mais peut-être les générations futures, filles redevenues sauvages ou désespérément esclaves, auront-elles du mal à vous croire. Aussi, quand vous aurez décrit les livres et les illustrations, les piles de manuscrits, les lettres reçues, parlez-leur de la chienne Prucnal et de ses bonds de joie pour vous souhaiter la bienvenue. Nulle ne doute qu'alors, elles vous croiront : un accueil comme celui-là, ça ne s'invente pas... C.B.
Au dernier plan, Françoise Pasquier à côté de Geneviève Fraisse - © Cathy Bernheim
Une édition féministe est-elle possible ? par Liliane Kandel
Françoise Pasquier, qui vient de disparaître prématurément (Le Monde du 5 janvier 2001), était une figure marquante (bien que discrète) du mouvement féministe. Elle avait compris très vite qu’un mouvement politique qui ne peut pas faire connaître ses initiatives, ses analyses, ou son histoire, est condamné soit à la stérilité soit, à terme, à la disparition : elle engagea toute sa compétence, son talent, et une force de conviction peu commune dans la publication des textes issus du mouvement et des groupes de recherche féministes. Dès 1976, elle coordonnait la section “ femmes ” de l’imposant “ Catalogue des ressources ” (éd. Parallèles), ainsi que “ Face à femmes ”, premier numéro de la revue Alternatives. En 1977 elle fondait sa propre maison d’éditions, les éditions Tierce puis Deuxtemps Tierce, qui allaient devenir le lieu privilégié de diffusion des écrits féministes.
Elle y hébergea, d’abord, les revues les plus importantes du moment - La Revue d’En face, Questions Féministes, Les Cahiers du Grif, Parole ! - et les ouvrages issus des premiers colloques féministes, espaces inestimables de réflexions, d’échanges – et de contradictions -, où était abordé l’essentiel des thèmes de débats de l’époque : le rapport des mouvements au politique, à l’Histoire ou aux sciences, la critique du naturalisme, le viol, l’articulation des violences misogynes (invisibles) et des violences “ reconnues ”, en temps de terreur par exemple. Beaucoup de ces textes sont aujourd’hui des classiques, constamment utilisés dans les enseignements sur les femmes et les rapports de genre.
Nombre des livres qu’elle publia étaient directement issus des luttes des femmes - sur les mutilations sexuelles, sur le travail, sur la contraception ou l’IVG, le viol, ou le travail des femmes -, ils s’y inscrivaient, les infléchissaient, ou en retraçaient l’histoire (celle du Planning Familial par exemple) – ainsi ce recueil des chansons du “ MLF ”, qui sans cette édition seraient pour la plupart aujourd’hui vouées à l’oubli.
Elle-même n’hésitait pas à s’engager directement dans les initiatives et les luttes du mouvement – notamment le groupe “ du pain et des roses ” en 1981, ou encore la protestation de tous les groupes féministes en octobre 1979, contre l’appropriation du nom “ MLF ” et son dépôt en marque commerciale par le groupe Psychanalyse-et Politique – librairie - éditions Des Femmes – (devenu ultérieurement l’Alliance des Femmes). Celles-ci, évitant la question politique, lui intentèrent en 1980 devant le tribunal de commerce un long et épuisant procès en “ concurrence déloyale ”, pour avoir signé, avec 10 autres éditrices féministes, un texte qui dénonçait cette étrange pratique. A l’époque pourtant, l’édition féministe tenait à coup sûr davantage du sacerdoce que du “ commerce ”.
Françoise Pasquier fut aussi parmi les premières à comprendre la puissance critique des recherches féministes, alors naissantes - mais aussi qu’un travail de pensée non relayé par l’édition pouvait difficilement se développer. Elle offrit à celles-ci un espace public d’expression, à un moment où elles n’étaient guère acceptées ni reconnues par les institutions officielles et les éditeurs, et à peine connues du public. Les livres publiés sont eux aussi devenus des classiques, tels l’ouvrage de Sarah Blaffer Hrdy sur la sociobiologie (Des guenons et des femmes), les ouvrages dirigés par Rita Thalmann (Femmes et fascismes ; La Tentation nationaliste), ou encore le recueil de textes critiques de M-C. Hurtig et M-A Pichevin sur la “ différence des sexes ”. Elle avait également, avec plusieurs autres chercheuses, créé en 1982 le CRIF (Centre de recherches et d’informations féministes), qui effectua un important travail de documentation, d’archivage et de diffusion des recherches effectuées en France et à l’étranger.
La même passion poussait Françoise Pasquier à publier les auteurs qui lui importaient, et au premier chef Hannah Arendt, dont trois ouvrages inédits en France parurent aux éditons Tierce (Rahel Varnhagen, la vie d’une juive allemande à l’époque du romantisme, puis Le concept d’amour chez Augustin, enfin Auschwitz et Jérusalem). Elle recherchait tout aussi passionnément des textes de femmes vivant sous d’autres cieux : femmes africaines, soviétiques, musulmanes, ou encore des textes tombés dans l’oubli : les lettres de Calamity Jane, les écrits de Séverine, ou les mémoires de Berthe, “ gouvernante ” de “ l’Amazone ” Nathalie Clifford Barney.
Sa farouche indépendance d’esprit, son refus de toute orthodoxie et de toute affiliation partisane, étaient les meilleurs garants de ses choix éditoriaux. En témoigne entre autres son engagement, intense, dans la lutte anti-totalitaire des dissidentes féministes russes (Proches et lointaines). Est-ce son humour dévastateur, ou sa totale discrétion quant à elle-même qui nous ont, longtemps, empêché de mesurer l’importance de sa contribution au mouvement et aux recherches féministes ? Les uns et les autres ont à son égard une dette capitale, et dont on commence seulement à estimer l’importance.
Françoise Pasquier avec Odile et Marie-Jo Dhavernas - © Cathy Bernheim
À Françoise Pasquier - Geneviève Fraisse
Comment supporter d’apprendre ta mort sur une page de journal ? A cette place là, tu es tout à coup morte et vivante à la fois. Tu ne nous a pas laissé approcher ta mort ; et la mort t’a si vite attrapée. Mais cela te va bien de t’absenter sans prévenir. Tu nous avais suffisamment confié, il y a très longtemps, que ta santé n’était pas bonne. C’était à nous de te croire. Je t’ai cru alors ; mais je n’ai pas été assez vigilante.
Au temps du féminisme allié au gauchisme, nous te rencontrions à la librairie Parallèles. La rue des Prouvaires, lieu de rencontres féministes n’était pas loin, les réunions s’y succédaient, le chantier des Halles nous indifférait et la librairie regorgeait de publications recherchées. Ta fidélité a commencé par ta présence vive. Nous étions sûres de t’y trouver, à la caisse souvent, près de l’entrée, à gauche. Tu parlais tout le temps des livres et de la politique, de la politique et des livres. C’était quoi alors, la politique ? Pas celle des institutions, bien sûr. C’était des projets et des inventions. Le Catalogue Ressources dressait l’inventaire des révoltes et des alternatives. En 1976 tu y introduisis un chapitre féministe. Et tu décidas de faire un volume pour les femmes. De l’entrée de la librairie, nous passâmes au premier étage, et là encore nous enchaînâmes les réunions.
Je retrouve le nom de toutes celles que tu remercias alors. Tes liens étaient si nombreux et ta relation avec chacune si singulière que nous perdions vite la mesure de tes entreprises. On ne savait plus où étaient les limites, on craignait pour la rigueur de la structure ; et tout d’un coup, l’objet était là, le livre était fait. De ces premiers travaux en commun, j’appris qu’il fallait te faire confiance quoiqu’il apparût d’un désordre ou d’un excès de passion pour un être comme pour un texte.
Editer un livre, donc éditer des livres : tu franchis le pas comme par évidence en créant les éditions Tierce avec Françoise Petitot. Tierce, ce titre était superbe : il disait les femmes, ce Tiers-Etat de la subversion ; il disait le chiffre trois pour parler du deuxième sexe ; il disait la tierce personne, personne en plus ou en moins, homme ou femme, on ne savait plus. Aussi bien à la librairie Parallèles que rue des Fossés Saint-Jacques, tu as toujours vu le féminisme se partageant avec d’autres luttes et d’autres passions. Tu vins rejoindre les éditions Solin, et longtemps nous vîmes vos bureaux côte à côte. Les Révoltes logiques, Quel corps ?, Tantkonalasanté, Actes, voisinèrent bientôt avec Questions féministes, La Revue d’en face, et Les Cahiers du GRIF que Françoise Collin apportaient de Bruxelles. Yolaine Simah , à quelques mètres de là, au Lieu-dit, rue Saint-Jacques, se faisait l’écho de la revue Sorcières.
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Alors ce lieu des Fossés Saint Jacques fut un espace. Chacune de ces revues, et toutes à la fois ont porté leur charge d’utopie et de subversion. Espace de réunions, revue après revue, espace de rencontres de fidèles et d’étrangers, espace d’action : nous ne pensions pas à refaire le monde, parole après parole. Non, nous étions trop pressés. Nous pensions aux articles à écrire, aux collectifs occasionnels, aux traductions en souffrance. Nous transformions le monde sans même à avoir à le décider. Nous étions très occupées. Assise à ton bureau, ironique, sarcastique, chaleureuse, épuisée, regardant passer ce monde féministe avec le désir toujours de le publier, c’est-à-dire de le rendre public, visible, intelligent, créatif.
Et vinrent les livres, les livres politiques, les livres scientifiques, les livres philosophiques, les livres d’intervention ou d’histoire féministe, les livres français et les livres étrangers ; et les livres de littérature sans lesquels tu ne nous aurais jamais supporté. En exemple, pêle-mêle : Calamity Jane (tu fus si heureuse qu’il passe en poche au Seuil), le premier livre de Fatima Mernissi, , la poésie de Brigitte Fontaine, Hannah Arendt avec d’abord la traduction de Rahel Varnhagen. Hélène Chatelain te convainquit sans mal de publier des dissidentes russes. Evelyne Le Garrec t’apporta les papiers de Séverine. Madame Léautey, qui nous a toutes initié à la bibliothèque Marguerite Durand , alors place du Panthéon, en était émerveillé. Françoise Gaill lança une collection scientifique. Le monde est rond de Gertrude Stein fut une surprise. Je mesure après coup l’étonnante diversité de tes publications. C’est cela le métier de l’édition, me dit en riant Irène Lindon.
Avant et après 1981, il y eut l’actualité féministe. Simone de Beauvoir fut dès le début un de tes anges gardiens. Il m’est arrivé de t’accompagner pour la tenir au courant. Elle fut un soutien et un conseil. Parce qu’au milieu de tout cela tu étais très seule. Yvette Roudy , pendant son ministère, t’aida à créer le CRIF, Centre de recherche et d’information féministe. Nous fîmes un bulletin , et surtout avec Nadja Ringart et Françoise Gaill, un rapport sur la recherche féministe. Elle t’aida aussi à créer la librairie de la rue de la Roquette.
Tu disais :“ je ne suis pas une intellectuelle ; tu sais bien que je n’y comprends rien ”. Tu répétais cette phrase avec des intonations différentes suivant les interlocuteurs ou le baromètre de tes humeurs. Il fallait alors autant te croire que t’ignorer. Parce que sortie du bureau,( tu aimais dire “ je suis au bureau, je vais au bureau ”), tu n’arrêtais pas le dialogue ni la discussion. Place de l’Estrapade, chez Perraudin, au café à côté de la librairie Savoir, plus loin rue Soufflot, nous avons quadrillé le quartier de nos échanges. Tu avais l’art de la complicité. Tu me demandais conseil souvent, et puis tu décidais autrement. De cela nous avons ri. Nous avons ri de tout. Françoise, tu n’existes pas sans ton rire. Ton rire de blague et d’humour, et ton rire de sarcasme ou de désespoir. On ne peut pas raconter le féminisme des années 70 sans parler de nos rires. Et là tu fus l’unes des meilleures d’entre nous. Aussi tu es devenue la marraine de ma fille Chloé. Je sais que tu en étais heureuse et fière. Vous ne vous êtes connues que dans son enfance. Je remercie Chloé d’être venue aujourd’hui.
A relire ce morceau de ton histoire, je vois ta solitude et ton courage, ta confiance et ton hospitalité. Tu aimais les êtres humains, tu as toujours fait attention au point de douleur plus ou moins caché de tes visiteurs et de tes amis. Tu as su aimer les êtres féministes en leur prêtant le meilleur de leur humanité.
Des livres aux éditions Tierce
Couvertures de Pascaline Cuvelier, Corinne App, M.Revel (sauf questions féministes)
Biographie + catalogue : nous publirons prochainement ici la biographie de Françoise Pasquier ainsi que le catalogue des éditions Tierce et Deuxtemps Tierce.