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Re-Belles. 40 ans du mouvement de libération des femmes , MLF Appellation d'Origine Incontrôlée. Objectif : FÉMINISTES TANT QU'IL FAUDRA !

• Ne pas aller place des Vosges !

Voir l'appel au rassemblement au bas de cette page et le compte rendu sur le site de la MMF à l'initiative de cette action : http://www.mmf-france.fr/courriers.htm

 

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Je ne suis pas allée place des Vosges...

Martine Storti

12 Septembre   

 

Oui le viol est un crime et trop souvent il n’est pas considéré comme tel par la justice.

Oui trop de femmes ont peur de porter plainte parce qu’elles ont honte d’avoir été violées ou parce qu’elles pensent qu’on – la police, la justice – ne va pas les croire.

Oui la parole des femmes est trop facilement mise en doute.

Oui plusieurs réactions énoncées au moment de l’arrestation de Dominique Strauss Kahn ont été scandaleusement sexistes et misogynes.

Oui d’avoir menti sur son passé ne prouve pas que Nafissatou Diallo a menti en accusant DSK de viol.

Oui il n’est pas possible d’appeler blanchiment le fait que le procureur de New York ait estimé ne pas avoir assez de preuves pour emporter l’unanimité d’un jury.

Oui le retour de Dominique Strauss Kahn et de Anne Sinclair à Paris a pris une forme obscène

 

Je pense tout cela. Et pourtant je ne suis pas allée manifester place des Vosges.

 

Pour plusieurs raisons. D’abord à cause du texte d’appel à ce rassemblement qui conclut implicitement à la culpabilité de DSK. Pour ma part j’ignore ce qui s’est passé dans une chambre de l’hôtel Sofitel en mai dernier. L’ignorant, je ne conclue ni à la culpabilité ni à l’innocence de DSK. En outre, une chose est le jugement moral et/ou politique que je peux sur son comportement à l’égard des femmes, autre chose est la qualification de crime.

 

Le lieu ensuite : pas n’importe quel lieu, pas même un lieu institutionnel, symbolique d’une fonctionnement juridique, ou judiciaire ou politique... Mais place des Vosges, c’est-à-dire devant un domicile privé, celui de DSK et de sa famille. Ce n’était donc pas seulement une manifestation contre le viol, mais bel et bien une manifestation contre DSK, intuitu personae. Quel sera le prochain épisode ? Tourner en rond jour et nuit sur la place, en faisant du bruit, histoire de l’empêcher de dormir. Jeter des boules puantes dans la cour de l’immeuble ? Enfoncer la porte de son domicile ?

Et puis et surtout l’appel à « une justice féministe » lancé par un tract de la Marche mondiale des femmes. J’ignore ce qu’est une justice féministe. Et de toute façon je ne veux pas d’une « justice féministe ». Ce que je veux, c’est une justice égale pour tous, cela porte un nom, s’appelle une justice démocratique. Une justice qui respecte et la présomption d’innocence pour la personne accusée et la présomption de vérité pour la personne qui porte plainte. Une justice qui traite également les personnes, quel que soit leur sexe, quelle que soit la couleur de leur peau, quelle que soit leur position sociale.

 

La colère – et en colère je le suis aussi - ne doit pas conduire à n’importe quel comportement ni à n’importe quelle action.

es personnes qui ont manifesté place des Vosges n’ont-elles pas tiré les leçons de l’Histoire ? Des féministes – je tiens au DES différent du LES – vont-elles commettre les mêmes erreurs que celles commises par d’autres groupes politiques appelant, dans les années 70, en France, ou en Allemagne, ou en Italie, pour ne prendre que des exemples européens, à une justice prolétarienne ? Jusqu’où iront-elles ? Attaquer personnellement Dominique Strauss Kahn ? L’enlever ? Lui couper les couilles ? L’assassiner comme les Brigades rouges, la Fraction armée rouge, ou d’autres tenants de la dite justice prolétarienne qui n’hésitèrent pas à enlever, blesser, tuer des hommes et des femmes qu’ils jugeaient coupables, coupables personnels ou coupables d’être des symboles du système capitaliste et de l’oppression des masses populaires ?

 

Cette belle et juste de cause  - qui est ma cause - de l’émancipation des femmes et de l’égalité des sexes mérite mieux que cela et ne peut pas, ne doit pas s’adosser à une sorte de populisme – fut-il autoproclamé féministe - qui ne vaut pas mieux que les autres.


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Précisions critiques sur rassemblement place  des Vosgues

Claudie lesselier

16 septembre

 

De nombreuses discussions ont eu lieu avant et après ce rassemblement. Les féministes qui sont critiques par rapport à ce rassemblement ne cherchent pas à donner des leçons et ne nient pas l’engagement des participantes contre les violences faites aux femmes. Elles expriment un point de vue, parfois vivement, car elles pensent que l’enjeu est important, sur ce rassemblement et de certaines de ses formes, telles qu’on peut les connaître par les comptes rendus et les photos.

Manifester devant le domicile d’une personne (dont ont ne peut en outre savoir avec certitude à l’heure actuelle si elle est coupable ou non)  me semble un mauvais choix, une focalisation contre un individu. Et les milliers d’autres violeurs présumés – ou souvent avérés – allons nous faire de même ? Peu probable... On a manifesté en mai près de Beaubourg pour protester contre les réactions politiques et médiatiques toutes favorables à DSK les deux premiers jours, on avait raison, car ces réactions spontanées de solidarité c’était bafouer la présomption de vérité. On manifestera le 5 novembre en direction du ministère de la justice, une institution, à qui on demande que le crime de viol soit mieux traité devant les tribunaux, devant la police judiciaire, que les femmes soient soutenues pour porter plainte. Le 11 septembre place des Vosges, on perdait de vue ces perspectives, plus qu’un système on attaquait un individu et on le mettait encore au devant de la scène (je trouve personnellement qu’on l’a assez vu...)

Deuxième chose, la pancarte représentant DSK imposant à la France figurée comme une femme / une carte) une fellation. Désolée d’avoir à faire cette remarque, mais ce type d’iconographie, ou la France est figurée se faisant “baiser” afin de dénoncer un agresseur / ennemi, on la rencontre le plus souvent dans les publications d’extrême droite. C’est une pancarte individuelle (je ne connais pas et ne souhaite pas connaître son auteure), certes, elle ne reflète pas (j’espère) le point de vue de toutes les participantes. Mais ne peuvent elles s’en dissocier ? Ou cela ne les choque pas ?

Troisième remarque enfin,  Claude Ribbe. Il a formé un “comité de soutien à Nafissatou Diallo” dont vous avez peut être reçu les communiqués et ce comité (voir le blog de C.Ribbe) a appelé lui aussi au rassemblement. Il faudra sans doute que les féministes organisatrices de ce rassemblement (surtout si il y a des suites) clarifient leur rapport avec ce comite. L’engagement de C.Ribbes en soutien à Nafissatou (on ne l’a en effet jamais vu se mobiliser pour une autre victime, présumée ou certaine, ni contre le viol en général) se fait sur la base qu’elle est “noire” (et pauvre) et DSK “blanc” (et riche). Et si c’était le contraire ? Car cela arrive aussi hélas... 

A propos des actions contre un violeur ou autre criminel (présumé ou certain) individuel il faut revenir un peu au passé... Il y eut un jour il y a longtemps, dans une petite ville du nord, un notaire accusé de meurtre d’une fille de mineurs, il fut l’objet d’une campagne virulente, le fait d’être notaire en faisant un coupable idéal. On apprit plus tard que le coupable était un jeune voisin de la victime.

On me dira aussi que dans les années 70 certaines d’entre nous (dont moi) avions fait (rarement certes, on a plus parlé, fantasmé, que agi...) des dénonciations individualisés de violeurs (bombage à la peinture), une soirée de “contre drague”  au quartier latin (on agressait des mecs au hasard comme des mecs agressent des femmes la nuit. Heureusement ce n’est pas allé très loin). Une fois (dans le cadre de la GP, pas du mouvement des femmes, et le modèle devait être la révolution culturelle où les méchants faisaient l’objet du même traitement, avant le camp ou le peloton), on a arrété deux violeurs, on les a fait marcher avec des pancartes et les mains attachés. C’était à Paris, à Citroen je crois (j’étais de passage à Paris et y ait participé). Faire justice nous mêmes, cela paraissait bien... En s’informant un peu, on sait où cela mène...

Je rappelle ce passé lointain, car j’ai l’impression que quelques copines (plus jeunes) s’interessent à ce type d’expérience. Je crois vraiment qu’on n’avait pas beaucoup réfléchi (euphémisme) et j’espère que d’autres générations auront les capacités de le faire davantage que nous à l’époque...

Et puis il y a aussi la date... On nous a reproché il y a quelques années, de faire une manif féministe un 17 octobre... Le 11 septembre, surtout 10 ans après, ce n’est pas non plus une date indifférente...

 

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Nous avions reçu une première version de ce texte mais avons choisi de publier cette dernière version postérieure publiée dans le blog mezetulle.

 

Féminisme, « justice féministe » et /ou état de droit ?

par Liliane Kandel (1)

En ligne le 3 octobre 2011 dans le blog  http://www.mezetulle.net/

 

Revenant sur la manifestation du 11 septembre contre la personne de DSK (2), et sur les anathèmes qui accablent aujourd'hui Anne Sinclair accusée de « trahir la cause des femmes », Liliane Kandel s'interroge sur le dévoiement de ce qui devrait rester un combat pour des droits. Le féminisme consiste-t-il à prôner la discrimination et à appeler au lynchage ?

Envoyé à deux grands quotidiens nationaux peu après la publication de l'appel à la manifestation, ce texte n'a pas été publié jusqu'à présent : Mezetulle s'honore de l'accueillir, légèrement modifié et enrichi d'un Post Scriptum.

 

11 septembre 2011, 14 heures. Il y a dix ans exactement, jour pour jour, à une heure près exactement, un premier avion s’écrasait sur les tours du World Trade Center à Manhattan.

 

Rappels, commémorations, prises de position de toute sorte ne se comptent pas ; télés, radios, blogs donnent la parole aux pompiers et aux survivants, aux politologues, aux historiens et aux ministres, aux proches des victimes, ou encore aux simples citoyens. Tous tiennent à témoigner de leur émotion à l’époque, souvent intacte aujourd’hui, à souligner le basculement historique que fut, pour nombre de nous, cet événement.

Les féministes, elles aussi, manifestent. Une « assemblée générale féministe » appelle à un rassemblement dimanche 11 septembre, à 14 heures précises. Contre le terrorisme ? contre le massacre de civils innocents ? contre l’oubli des victimes des attentats-homicides?  Pas exactement. Elles, protestent « contre le viol, contre l'impunité des agresseurs, pour que justice soit rendue aux femmes ». Anniversaire ou pas, qui y trouverait à redire ?

 

Seulement voilà. Ce rassemblement, à une date si symbolique, ne se tient pas n’importe où : il a lieu... place des Vosges. Il n’a pas pour seul objectif (louable) de dénoncer le viol – depuis les Journées contre le Viol à la Mutualité en 1976 maintes autres manifestations ont eu lieu, en maints endroits, et maintes autres suivront. Il s’agit d’abord, pour cette « assemblée générale unanime » (sic), de désigner aux paisibles touristes, nombreux en ce lieu à cette heure, aux flâneurs du dimanche qui n’en peuvent mais, aux riverains qui n’ont rien demandé, à la vindicte populaire enfin, le lieu où ont l’impudence de vivre ces deux incarnations du Mal absolu que sont aujourd’hui à leurs yeux Dominique Strauss-Kahn et sa femme Anne Sinclair.

 

En lisant l’appel à la manifestation de dimanche nous sommes sans voix : « Apportez de quoi faire du bruit : casseroles, sifflets, mégaphones, vos voix, etc. » dit le tract.  Sans doute certaines n’oublieront-elles pas, non plus, quelques petits cailloux, histoire de briser les fenêtres du Vampire de Düsseldorf ? une ou deux bombes à peinture pour tagger les murs : « dans cette maison habite un violeur » ? d’autres accessoires susceptibles de pourrir définitivement la vie d’une personne... que nul tribunal pour le moment (excepté cette «assemblée féministe ») n’a jugée coupable ? de pourrir la vie de sa femme, coupable de ne pas l’avoir abandonné ? de sa famille qui ne l’a pas encore répudié ?, de son entourage ? de ses voisins - en espérant que ceux-ci ne tarderont pas à lui enjoindre, comme à New York, de bien vouloir les débarrasser de son encombrante présence ?

 

Est-ce vraiment cela que nous voulions lorsque, à l’orée des années 1970 nous avons dénoncé le viol, exigé qu’il soit reconnu et jugé comme crime (et non plus comme « coups et blessures », « attentat à la pudeur »- ou, pire,  « attentat au bien d’autrui ») ? Lorsque nous avons dénoncé (sans les confondre) les violences multiples – physiques, économiques, symboliques – subies par les femmes ? réfléchi aux moyens de les combattre et de les éradiquer ? Nous demandions à l’époque (et demandons toujours) le respect des plaignantes et de leur témoignage – non leur sacralisation ; le recours aux tribunaux de la République - et non aux tribunaux populaires ; l’application de la Loi - mais non de la loi de Lynch ni celle des meutes. Et lorsque nous la trouvions injuste : nous avons lutté, manifesté, exigé (et obtenu, l’a-t-on oublié ?) qu’elle fût modifiée : nous ne nous sommes pas substituées à elle et ne nous sommes pas prises pour des sheriffs de pacotille.

 

Avons-nous oublié qu’à Bruay en Artois d’autres militants avaient, d’office, désigné  le coupable d’un crime - parce que bourgeois, parce que notaire, et parce qu’il … avalait 500 g. de steaks aux repas ? (il fut innocenté). Avons-nous oublié Outreau ? avons-nous oublié Loïc Sécher ? Aujourd’hui on peut lire sur nombre de blogs et listes féministes des proclamations telle celle-ci : « Quand une femme est agressée, le doute n’est pas permis ». Lisez bien : au nom du féminisme, de la défense du droit des femmes (pourtant dans « droit des femmes » il y a droit) le doute, tout doute, serait désormais interdit ?

 

Les féministes ont demandé, à juste titre, que l’on respectât la parole de la plaignante, et sa personne : son passé, sa « vie privée », ses relations (la justice de New York  fut, sur ce point, irréprochable). Comment ont-elles pu accepter que celles-ci en même temps fussent à ce point piétinées, s’agissant du (jusque-là) présumé innocent ? accepter que Nafissatou Diallo fût défendue à coups de harangues publiques, alliage inédit des procès de Moscou et des films gore d’un Quentin Tarentino ? d’appels planétaires à la délation ? de lettres anonymes providentiellement exhibées comme autant d’éléments irréfutables de preuve ? de rapports d’experts outrepassant, systématiquement, leurs prérogatives – et leurs compétences ?  d’appels à juger non pas un acte ou une parole (ce qu’une personne a fait), mais ce qu’elle est, son immuable et diabolique essence (« nous allons montrer à la face monde, proclame l’avocat, qui est dsk ») ? La  « justice féministe » que certaines appellent de leurs vœux peut-elle s’éloigner aussi vertigineusement de toutes les conquêtes, durement acquises, de l’Etat de droit : présomption d’innocence, séparation des pouvoirs, secret de l’instruction, protection (mais oui !) de la vie privée ?

 

Faut-il préciser que je ne connais ni Anne Sinclair ni DSK? que je ne pensais pas, du reste, qu’il fût le candidat idéal pour 2012 ? et que j’ignore, comme nous tous, ce qui s’est passé le 14 mai 2011 dans la suite 2806 du Sofitel de New York ? Mais j’ai suivi, comme beaucoup d’entre nous, les avatars successifs de l’affaire DSK, et les réactions publiées, pour une fois si étrangement unanimes, de mes amies féministes.

 

Et, parce que j’ai été et reste féministe, que je combats le viol et les multiples violences faites aux femmes autant que j’abhorre les dénis de droit et les jugements extrajudiciaires, je pose à ces militantes une question, une seule : et si DSK était innocent ? Si la réponse un jour devait être positive qui parmi vous, casseroleuses du 11 septembre 2011, porteuses de l’infâme panneau « Dsk Sinclair DEGAGE », qui aura le courage de dire : Shame on us?

 

PS. J’ai écrit ce texte dans un moment de stupéfaction à l’annonce du projet de manifestation « féministe » place des Vosges. Je le croyais périmé, je me trompais. Aujourd’hui, c’est Anne Sinclair qui devient la cible de toutes les attaques. Sondage à l’appui, un grand hebdo « féminin » décrète que, contrairement à elle, dans des circonstances analogues 74% des françaises auraient quitté leur mari. Des militantes féministes ou socialistes en vue l’accusent de « trahir la cause des femmes ». Un « humoriste » se demande interminablement, sur les ondes, pourquoi (comprenons : de quel droit) elle sourit.

Il n’y a pas si longtemps, dans les cellules du Parti communiste français, les « camarades » exigeaient le divorce pour celles ou ceux dont le compagnon avait dérogé à la Ligne, était convaincu de propos, écrits ou actes « contre-révolutionnaires ».  Et malheur à qui s’y dérobait ! Les commissaires politiques d’aujourd’hui n’ont pas le pardessus ou le costume gris, ni l’air sombre des apparatchiks d’antan. Ils sont aujourd’hui souriants, « cool », médiatiques,  souvent de gauche voire même écologistes, plus souvent encore « féministes ».  Les commissaires sont à nouveau parmi nous.

 

Simone, réveille-toi, elles sont devenues folles !

 

© Liliane Kandel et Mezetulle, 2011

 

Notes

 

   1. Liliane Kandel est sociologue, membre du comité de rédaction desTemps Modernes. Elle a participé au mouvement de libération des femmes  dès le début des années 1970 et a été été co-responsable du Centre d’Etudes et Recherches féministes de l’Université Paris 7 – Denis Diderot. Elle a publié notamment Féminismes et  nazisme (éd. Odile Jacob).

   2. Voir aussi l'article de Catherine Deudon sur ce blog Le viol est un crime : cela rend-il la preuve inutille ? On y trouvera aussi les liens vers l'appel à la manifestation du 11 septembre ainsi que vers des vidéos. Voir également le texte de Martine Storti sur son site.

 

 

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Nous avions reçu une première version de ce texte mais avons choisi de publier cette dernière version postérieure publiée dans le blog mezetulle.

 

Le viol est un crime : cela rend-il la preuve inutile ?

Réponse au texte d’appel à la manifestation du 11 septembre 2011 place des Vosges à Paris sous les fenêtres de DSK

par Catherine Deudon (1)

En ligne le 30 septembre 2011

 

Le 11 septembre dernier une manifestation a eu lieu (2) place des Vosges sous les fenêtres d'Anne Sinclair et de Dominique Strauss-Kahn, appelant de ses voeux une « justice féministe » et où on a pu lire, entre autres, une pancarte disant « DSK/Sinclair dégage ! » Comme s'il suffisait d'être accusé de viol pour être ipso facto condamné avant tout examen équitable et en dehors de tout procès. Comme s'il suffisait d'être de sexe féminin pour voir sa parole sacralisée en pareille circonstance. Mais il faut aller plus loin : à supposer même qu'une personne soit reconnue coupable d'un crime (car le viol est un crime), cela autorise-t-il son lynchage - et, sans doute pour faire bonne mesure, celui de son conjoint ?

C'est sur ces questions que s'interroge Catherine Deudon (1), en s'adressant à celles qui ont cru bon de faire de l'appartenance de sexe un motif de justice expéditive : est-ce servir la cause des droits des femmes? (3)

 

Une mystérieuse « assemblée générale féministe », composée de 80 personnes et parfaitement inconnue jusqu’à présent, a appelé le dimanche 11 septembre à manifester « contre le viol » et « pour une justice féministe » place des Vosges, autrement dit sous les fenêtres du couple DSK-Anne Sinclair. A décréter donc, ouvertement, DSK coupable du viol de Nafissatou Diallo à New York en mai dernier. (2)

 

L'abandon des charges contre DSK ne démontre en rien un « profond sexisme du système judiciaire ». Aux Etats-Unis comme en France le viol est un crime, et il a beau être inscrit dans la loi, cela ne fait pas de tout homme accusé un coupable de facto et par essence. La justice n'a pas à être « féministe », « prolétarienne » ou autre variante d'une quelconque idéologisation réduisant les personnes à des symboles de la lutte dite des races, des sexes, ou des classes. Le viol est un crime, certes. Mais il n'est pas pour autant au-dessus des lois, des preuves à apporter dans un procès, et de la « présomption d'innocence » de l'accusé. La parole des femmes n'est pas sacrée, et comme tout être humain elles peuvent mentir, jouer la comédie ou bien être instrumentalisées.

 

Il est tout à fait différent de vouloir changer les lois à travers un combat politique pour criminaliser le viol et d'aller crier sous les fenêtres d'un présumé innocent, ou d'un homme ayant obtenu un non-lieu.

Si ce non lieu est discutable, on peut faire des articles dans la presse, parler à la télévision comme l'ont fait certaines, mais c'est tout à fait différent de vouloir influencer un jugement par un siège sous les fenêtres de DSK place des Vosges en hurlant des slogans simplistes et parfois sujets à des dérapages. Comme ce dessin, digne de l’extrême droite, de DSK éjaculant dans la bouche de la France en lui enjoignant « avale » et d'autres pancartes, toutes aussi scabreuses. 

 

Par ailleurs d'où sortent vos chiffres sur les viols impunis à 95%, vos 200 femmes violées par jour, et 4 violeurs seulement reconnus comme violeurs et condamnés (par jour, par mois, par année, au doigt mouillé ?). Parmi vos viols impunis combien sont prouvés ? Nous voulons des chiffres vérifiables, et analysés dans leur complexité, pas du chiffre sensationnaliste victimiste. C’est le moment de répéter un bon slogan ancien : « A quand une élection de Miss oppression ? »

 

Aucune trace de violence caractérisée n'a été vraiment constatée, ni sur DSK, ni sur Diallo, sauf par des médecins qui ont carrément outrepassé leurs rôles en prétendant que certaines étaient dues à un viol. Pourquoi n’avoir pas attribué, pendant qu’ils y étaient, les trous dans les collants à des preuves de violence ?

Les traces de sperme peuvent être issues d'une relation sexuelle rapide et consentie. Mais non : ce sperme est celui d’un violeur patenté, vous dit-on ! Il n'existe pourtant non plus aucune preuve que DSK ait pris la fuite. C’est le violeur de La Force (et de la fuite) Tranquille ? Nafissatou Diallo n'a pas menti qu'une fois comme vous le prétendez, mais à plusieurs reprises, et s'est contredite maintes fois. Son coup de téléphone a son dealer chéri déclarant « qu'elle sait ce qu'elle fait ce mec a de l'argent » a été démenti, puis confirmé. Mensonge pour les uns, vérité pour les autres, erreur de traduction ? On ne sait, mais ils sont nombreux à être sûrs de savoir. Si pour certains sa situation de femme immigrée, noire, et prolétaire fait forcément d'elle une « menteuse », pour d'autres cette situation fait forcément d'elle une victime disant Seule La Vérité Unique. Est-ce tellement mieux ? Drôle de conception de la justice (comme on le sait,  le stalinisme et les procès de Moscou furent émaillés de cette Vérité Unique suivie d'un Avenir radieux jusque dans les goulags et de l'effondrement final de tout le bloc de l'Est que maintes littératures ont relatées.)

 

On voit que le gauchisme n'a toujours pas rompu avec cette conception de La Vérité Unique et radieuse des opprimé-e-s - et surtout de leurs représentant-e-s. On en avait déjà eu la preuve à Bruay en Artois. On risque d'en avoir à nouveau la preuve avec l'instrumentalisation du viol, qui vise à se passer de procès, ou exiger des procès bidons puisque tout présumé violeur doit être condamné sans discussion et sans preuves avérées et suffisantes. Le présumé violeur est un criminel d’office. L'appartenance de sexe innocente l'un et condamne l'autre au nom de la « dignité des femmes », mêmes indignes ? N’y en aurait-il qu’une: « La vieille dame indigne » ? La tortionnaire à Guantanamo n'était qu'un mirage du patriarcat raciste impérialiste américain sans doute ?

 

Quand une femme a été violée, il y a belle lurette qu'on ne lui répond plus, systématiquement en tout cas, que « non ce n'était qu'un rapport consenti » ou que « allons, vous l’avez bien cherché ». Ou alors les féministes qui se sont battues pour criminaliser le viol auraient mieux fait de rester couchées, si tel était le cas. Vous n'en croyez évidemment rien puisque vous reconnaissez, même si ce n’est que du bout des lèvres, que des violeurs sont condamnés. Par ailleurs on dit que les prisons en sont pleines.

Qui dit la vérité des chiffres vrais et non idéologisés ?

 

Est-ce un hasard si le féminisme d’extrême gauche a choisi le 11 septembre pour manifester sous les fenêtres de DSK et d’Anne Sinclair, en s’asseyant sur les victimes innocentes du terrorisme islamiste : sa haine de l'Amérique comme démocratie s’inscrivant dans les guillemets mis à « démocratie ». Tandis que DSK et Sinclair sont invités à « dégager » comme de vulgaires dictateurs du Moyen-Orient ! Entre la Démocratie américaine et les dictatures du Moyen-Orient, et même leurs révolutions incertaines quant à la démocratie, je choisis les innocents se jetant du haut des Twin Towers de la démocratie américaine sans guillemets, plutôt que les terroristes de l'impérialisme islamiste. Car, imparfaite, c'est tout de même une démocratie. Et mieux vaut une justice qui se trompe parfois, qu'une justice du lynch ou de la lapidation, qu'une justice contentant un dogme, ou une dictature.

 

Je ne suis pas de celles qui croient coupable ou innocent DSK, je suis de celles qui doutent.

 

PS : Yves Calvi, qui a interviewé Tristane Banon le 22/09/011, sur RTL pense qu’aller manifester sous les fenêtres de la Justice n’est pas une bonne idée. Tristane Banon, qui aurait voulu que son combat reste en justice plutôt que de prendre une tournure médiatique, se demande elle-même si elle n’a pas tort d’avoir fait ce choix.

Il aurait mieux valu que les féministes d’extrême gauche, et celles qui les suivent sur ce terrain populiste, se posent aussi la question.

 

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© Catherine Deudon et Mezetulle, 2011

 

Notes

 

   1. Catherine Deudon, « féministe historique », co-auteur de Le sexisme ordinaire (Paris : Seuil/Libre à Elles, 1979, préface de S. de Beauvoir), est également connue pour ses photographies des mouvements de libération des femmes (Un mouvement à soi 1970-2001 Catherine Deudon, éd. Syllepse, 2003). Mezetulle a publié en 2009 un de ses dessins humoristiques.

   2. Lire le texte de l'appel, publié en pdf sur le site de la Marche mondiale des femmes. Une vidéo de la manifestation est visible sur le site du journal 20 Minutes. A noter un blog qui fait état d'un communiqué du mouvement Europe Ecologie les Verts daté du 10 septembre appelant à cette manifestation.... communiqué introuvable sur le site d'EEV !

   3. Voir aussi le texte de Martine Storti sur son site , repris sur Rue89.

 

APPEL-Final-Rassemb.jpg

 



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