De l'Arc de Triomphe (26 août 1970) à la place du droit des Femmes et des Hommes (actuelle esplanade du Trocadéro ou "des droits de l'Homme"), le 26 août 2010, les filles et petites filles de la femme du soldat inconnu fêtent les 40 ans du MLF, Mouvement de libération des femmes et rappellent que le féminisme est un combat de tous les temps…
Cathy Bernheim et Danielle Prévôt
Photographies DR Blog Re-Belles
Lecture de la déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne
Par Marie Gouze, dite Olympe de Gouges
A décréter par l’assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.
Préambule
Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.
Article I.
La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
Article II.
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l'Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et surtout la résistance à l'oppression.
Article III.
Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation qui n'est que la réunion de la Femme et de l'Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
Article IV.
La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.
Article V.
Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société : tout ce qui n'est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elles n'ordonnent pas.
Article VI.
La Loi doit être l'expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les citoyennes et tous les citoyens étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emploi publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
Article VII.
Nulle femme n'est exceptée ; elle est accusée, arrêtée et détenue dans les cas déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.
Article VIII.
La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.
Article IX.
Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.
Article X.
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune : pourvu que ses manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la Loi.
Article XI.
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d'un enfant qui vous appartient, sans qu'un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Article XII.
La garantie des droits de la femme et de la citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de celles à qui elle est confiée.
Article XIII.
Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses de l'administration, les contributions de la femme et de l'homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toues les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l'industrie.
Article XIV.
Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l'admission d'un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l'administration publique, et de déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée de l'impôt.
Article XV.
La masse des femmes, coalisées pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.
Article XVI.
Toute société, dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution : la Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation n'a pas coopéré à sa rédaction.
Article XVII.
Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles sont pour chacun un droit inviolable et sacré ; nul ne peut en être privé comme vrai patrimoine de la nature, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
Postambule.
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? le bon mot du législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs Français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être suprême. Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. Passons maintenant à l'effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes.
Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernent français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l'administration nocturne des femmes ; le cabinet n'avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profané et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé.
Dans cette sorte d'antithèse, que de remarques n'ai-je point à offrir ! Je n'ai qu'un moment pour les faire, mais ce moment fixera l'attention de la postérité la plus reculée. Sous l'ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir l'amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n'avait besoin que d'être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n'en profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune, qui la portait aux mépris des richesses ; alors elle n'était plus considérée que comme une mauvaise tête : la plus indécente se faisait respecter avec de l'or ; le commerce des femmes était une espèce d'industrie reçue dans la première classe, qui, désormais, n'aura plus de crédit. S'il en avait encore, la révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus ; cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l'homme achète, comme l'esclave sur les côtes d'Afrique. La différence est grande ; on le sait. L'esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l'esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes même de la bienfaisance lui sont fermées ; elle est pauvre et vieille, dit-on ; pourquoi n'a-t-elle pas su faire fortune ? D'autres exemples encore plus touchants s'offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu'elle aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l'ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l'abandonnera de même. S'il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque engagement le lie à ses devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S'il est marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l'administration publique. On conçoit aisément que celle qui est née d'une famille riche, gagne beaucoup avec l'égalité des partages. Mais celle qui est née d'une famille pauvre, avec du mérite et des vertus ; quel est son lot ? La pauvreté et l'opprobre. Si elle n'excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en aurait toute la capacité. Je ne veux donner qu'un aperçu des choses, je les approfondirai dans la nouvelle édition de tous mes ouvrages politiques que je me propose de donner au public dans quelques jours, avec des notes.
Je reprends mon texte quant aux moeurs. Le mariage est le tombeau de la confiance et de l'amour. La femme mariée peut impunément donner des bâtards à son mari, et la fortune qui ne leur appartient pas. Celle qui ne l'est pas, n'a qu'un faible droit : les lois anciennes et inhumaines lui refusaient ce droit sur le nom et sur le bien de leur père, pour ses enfants, et l'on n'a pas fait de nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et juste est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma part, et comme tenter l'impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière ; mais, en attendant, on peut la préparer par l'éducation nationale, par la restauration des moeurs et par les conventions conjugales. "
Cathy Bernheim et Martine Storti
AU PAYS DES HOMMES-ROIS
Arc de Triomphe : en portant une gerbe « À la femme inconnue du soldat », nous avons souligné que les femmes aussi, traversaient l’histoire d’un pays. Mais leur disparition de l’Histoire officielle, de ses symboles et de ses récits, nous amenait à constater qu’il y avait une guerre aussi pour les femmes, contre les femmes. C’est pour faire face à cette guerre des sexes que les féministes des années 70 se sont rassemblées. Mais aujourd’hui, nous dit-on, les femmes ont obtenu tout ce qu’elle veulent : liberté, égalité, sexualité… Ah bon ? Vraiment ? Alors, pourquoi sommes-nous ici ce matin ? Vous qui luttez au quotidien pour vous faire entendre, vous le savez bien. Vous êtes ici, je suis ici, parce qu’être femme, ça n’est pas tout à fait normal au pays des hommes-rois. Ça ne va pas encore de soi.
Femmes, quand on regarde autour de ce soi si controversé, si surveillé, si balisé, on se rend compte que partout, les hommes sont toujours rois.
Oh bien sûr, pas chaque petit bonhomme, individuellement, si prompt pourtant à défendre l’ordre des hommes-rois. Lui, le petit homme, il sait tout juste encore qui il est, donneur de sperme ou fils éprouvette, chair canon ou poil au menton. Cet homme là a vacillé sur son socle comme toutes les idoles des siècles précédents avant de s’écraser dans la poussière. Il n’a plus de royaume où exercer, seul et souverain, sa tyrannie sur ses sujets, sa famille et ses terres. Mais il a encore tous ses frères avec qui jouer au plus fort. Car ensemble, les hommes sont rois d’un pays plus vaste que le monde. Partout, ils décident ce qui est bon et bien, ils dictent les lois de la vie en commun. Démocratiquement ou autoritairement mais toujours, entre hommes. Rois de la terre, des mers et des cieux. Du travail, des loisirs et du pieu. Des assemblées, des commissions et des nations. Des cultures, de l’élevage et des religions. Ce n’est pas une accusation, c’est un fait. Une multitude de faits innombrables et multiples qui tous se rejoignent. En convergeant, ces faits forment une toile dans laquelle s’empêtrent tous les insectes, femelles et mâles, qui tentent de partager l’ espace des maîtres. Encore rares sont celles et ceux qui s’en plaignent. Car sous prétexte d’intimité, une foule immense de serfs et serves consentent à leur emprise, confortent leur empire.
C’est sur ce terrain, l’intimité, que nous avions choisi de frapper en déclarant la grève des femmes à la suite des Américaines. Comme le dit Virginia Woolf dans « Trois guinées » : « L’univers de la vie privée et celui de la vie publique sont inséparables. Les tyrannies et les servilités de l’un sont aussi les tyrannies et les servilités de l’autre. »
Cathy Bernheim
26 août 2010
Pour les quarante ans du MLF,
hommage à des femmes qui ont fait avancer la cause des femmes
Françoise Picq
Olympe de Gouges (1748- 1793)
« Article premier : La femme nait et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ») (GF, p.183) Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, 1791.
Les femmes ont droit à l’échafaud, elles doivent avoir droit à la tribune.
Flora Tristan (1803-1844)
« Tous les malheurs du monde proviennent de cet oubli ou mépris qu’on a fait (1818-1902), jusqu’ici des droits naturels et imprescriptibles de l’être femme » (-Flora Tristan L’Union ouvrière, 1834) ;
« La loi qui asservit la femme et la prive d’instruction vous opprime vous, hommes prolétaires […] affranchissez les dernières esclaves […] proclamez les Droits de la Femme » (Flora Tristan L’Union ouvrière, 1844).
Hubertine Auclert, (1848-1914)
« Femmes de France, je vous le dis du haut de cette tribune. Ceux qui nient notre égalité, dans le présent, la nieront dans l’avenir. Comptons donc sur nous-mêmes, n’abandonnons pas nos revendications. Nous sommes depuis des siècles trop victimes de la mauvaise foi, pour nous oublier nous-mêmes et croire qu’en travaillant pour le bien-être général, nous aurons notre part du bien général ». Hubertine Auclerc, Discours au Congrès ouvrier socialiste de Marseille, 1879.
Elisabeth Cady Stanton et Suzan B. Anthony (1820-1906)
"Nos hommes aux idées larges nous ont conseillé le silence pendant la guerre [civile] et nous avons gardé le silence en nourrissant un sentiment d'injustice ; il nous ont conseillé le silence à New York et au Kansas pour ne pas compromettre le "suffrage des nègres"; ils ont menacé, au cas où nous ne suivrions pas ce conseil, de nous laisser mener toutes seules notre combat. Nous avons lutté seules et nous avons essuyé une défaite. Mais seules, nous avons pu mesurer notre force : nous avons renoncé à tout jamais aux conseils des hommes; et nous avons fait le vœu solennel que plus jamais il n'y aura de silence, tant que les femmes n'auront, partout sur cette terre verdoyante, les mêmes droits que les hommes. " (Elisabeth Cady Stanton et Suzan B. Anthony "Message aux générations futures":The history of women suffrage, t. II, 1882),
Nelly Roussel (1878-1922)
Que les femmes posent leurs conditions pour enfanter : « Plus d’enfants pour le capitalisme qui en fait de la chair à travail que l’on exploite ou de la chair à plaisir que l’on souille ». Posons nos conditions « Et si elles ne sont point acceptées…, faisons ce que font tous les travailleurs conscients et dignes, lorsqu’on les exploite, les maltraite et les bafoue : Faisons la grève ! Faisons la grève, Camarade ! la grève des ventres » (Génération consciente, décembre 1919-mai 1920)
Simone de Beauvoir (1908-1986)
« On ne naît pas femme, on le devient. C’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin »
« Quand sera aboli l’esclavage d’une moitié de l’humanité et tout le système d’hypocrisie qu’il implique, […], le couple humain trouvera sa vraie figure. […] C’est au sein du monde donné qu’il appartient à l’homme de faire triompher le règne de la liberté ; pour remporter cette suprême victoire il est entre autres nécessaire que par delà leurs différenciations naturelles hommes et femmes affirment sans équivoque leur fraternité » (Le Deuxième sexe, 1949).
Christiane Rochefort (1917-1998)
Il y a un moment où il faut sortir les couteaux.
C'est juste un fait. Purement technique.
Il est hors de question que l'oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir: mettez-vous à sa place.
Ce n'est pas son chemin.
Le lui expliquer est sans utilité.
L'oppresseur n'entend pas ce que dit son opprimé comme un langage mais comme un bruit. C'est dans la définition de l'oppression.
En particulier les plaintes de l'opprimé sont sans effet, car naturelles. Pour l'oppresseur il n'y a pas oppression, forcément, mais un fait de nature.
Aussi est-il vain de se poser comme victime : on ne fait par là qu'entériner un fait de nature, que s'inscrire dans le décor planté par l'oppresseur.
[…]
Au niveau de l'explication, c'est tout à fait sans espoir. Quand l'opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.
Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.
Peu importent le caractère, la personnalité, les mobiles actuels de l'opprimé.
C'est le premier pas réel hors du cercle.
C'est nécessaire.
Christiane ROCHEFORT. (Préface à Scum Manifesto)
Monique Wittig (1936-2003)
« Nous, depuis ce temps immémorial, vivons comme un peuple colonisé dans le peuple, si bien domestiquées que nous avons oublié que cette situation de dépendance ne va pas de soi. C’est pour l’homme que nous sommes nourries et élevées, c’est par l’homme que nous vivons, il peut acheter notre corps et quand il est rassasié, il peut s’en débarrasser. […]
Nous sommes la classe la plus anciennement opprimée. En tant que telle, nous voulons commencer la lutte contre le pouvoir qui maintient cette oppression. […]. La lutte commence pour nous. […] Maintenant que nous avons théoriquement les mêmes droits que les hommes, ce qui nous apparaît clairement, c’est cette monstruosité : il existe dans les sociétés modernes une sorte de travail qui n’a pas de valeur d’échange, c’est le travail que nous faisons à la maison […]. Nous l’appelons ce travail, travail servile. […] nous disons que tant qu’il restera dans ce pays une femme opprimée, serve dans sa famille, victime de discrimination dans son travail public, nous les femmes, nous ne serons pas libérées et c’est pour toutes que nous voulons la libération » (« Combat pour la libération de la femme, L’Idiot International, mai 1970)
…
Martine Storti
Françoise Flamant
Maya Surduts
Catherine Deudon
Liliane Kandel
Danielle Prévôt et Sandrine Goldschmidt
à droite Danièle Cottereau
Laetitia Puertas et Nicole Fernandez Ferrer
LaetitiaPuertas
Cathy Bernheim et Emmanuelle de Lesseps,
toutes deux présentes à l'Arc de Triomphe le 26 août 1970
Mais aussi
26 août 1970/ 26 août 2010
Une autre commémoration a bel et bien eu lieu – certes moins rassembleuse et légèrement plus confidentielle...
Elles étaient trois, plus une journaliste locale, ce matin-là à Lescouët-Jugon, doux village de France situé dans les Côtes d’Armor qui arbore fièrement son monument aux… morts très spécifiquement masculins.
Et devinez un peu qui se cache derrière un mort officiellement reconnu ?
Au moins une femme inconnue !
Ou comment, en voilant, l’artiste dévoile… le pot aux roses : l’invisibilité symbolique des femmes.
ZEROSE présente l’avis en rose...
Tablier rose pour monument aux morts
Une action artistique* de valéri.e bouillon le 26 août 2010 à Lescouët-Jugon (Côtes d’Armor)
“L'action artistique de ce 26 août 2010 a pour but de commémorer l'action militante du 26 août 1970 à Paris où 9 femmes avaient déposé une gerbe à la mémoire de "la femme inconnue du soldat inconnu".
Ce geste ayant plus ou moins marqué le début de la renaissance du féminisme en France, aujourd'hui, 40 ans plus tard, devant le monument aux morts de ce village de France, un parmi d'autres, qui ne reconnaît que la valeur des hommes, par ce tablier rose symbole de leurs tâches quotidiennes, je rends hommage au courage non reconnu de toutes les femmes, d'ici et d'ailleurs, de maintenant comme de jadis.
Je dédie mon geste aux femmes qui, partout, ici comme ailleurs, poursuivent la lutte contre la domination masculine et, en particulier, aux femmes indiennes du gang des saris roses (Gulabi Gang).”
Merci à Marie-Noëlle Milteau et Caroline Widehem (dite Théophraste Merlot) pour leur soutien.
Le film de la performance sera disponible fin septembre sur le site web de la très prochaine TéléDebout.
*Technique d’expression artistique, la performance est la mise en œuvre ou en espace d’une création. C’est une action symbolique par laquelle l’artiste rend visible l’invisible avec des moyens esthétiques : formes, couleurs, matières…
ZEROSE promeut les artistes plasticiennes et les arts plastiques auprès des femmes. Elle défend un art social propre à faire évoluer les mentalités dans le sens du respect et de l’égalité de tou.te.s et propose des ateliers visant à créer du lien social entre femmes et à favoriser le partage des connaissances.
http://zerose-org.blogspot.com/
Dans la presse
Nous complèterons cette revue de presse au fur et à mesure…
Pour voir les journaux de FR3 du 26 août suivre ce lien :
Pour voir le site de FR3 consacré aux 40 ans du mouvement de libération des femmes suivre cet autre lien :
Pour voir le 20h de France 2 du 26 août suivre ce lien :
http://info.francetelevisions.fr/?id-categorie=JOURNAUX
puis cliquer sur JT > 20h > éditions > Nationale
26 août 2010. A l'occasion des 40 ans du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), des militantes féministes ont rebaptisé le Trocadero en "Place des droits des femmes et des hommes". Tout comme en 1970, elles avaient déposé une gerbe à la femme du soldat inconnu.
http://www.lejdd.fr/Societe/Social/Actualite/Les-anciennes-du-MLF-passent-le-relais-216630/
Social | 28 Août 2010 | Mise à jour le 30 Août 2010
Les "anciennes" du MLF passent le relais
Il y a quarante ans, une dizaine de militantes se ruaient sur la tombe du soldat inconnu pour honorer... sa femme! Cathy Bernheim était là.
Debout sur son estrade de fortune, plantée au milieu de l’esplanade du Trocadéro, Cathy Bernheim*, 64 ans, joue des cordes vocales pour demander que le parvis des Droits-de-l’Homme soit rebaptisé "place des Droits-des-Femmes-et-des-Hommes". Ce jeudi 26 août 2010, pour les
40 ans du Mouvement de libération des femmes, les oratrices et les références aux illustres pionnières se succèdent. Ici, Olympe de Gouges et sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Là, Flora Tristan et sa lutte pour le droit au divorce. Plus loin, Simone de Beauvoir et son célèbre "On ne naît pas femme: on le devient".
La sono a lâché. Le public reste clairsemé. L’enthousiasme, lui, est présent. Les pancartes avec les slogans d’époque – "Je suis une femme, pourquoi pas vous", "Une femme sans homme, c’est un peu comme un poisson sans bicyclette" – retrouvent une nouvelle jeunesse. "Le combat continue" semble être le mot d’ordre que ces militantes aux cheveux parfois grisonnants se seraient passé.
D’ailleurs, rendez-vous est pris pour la manifestation samedi en faveur de Sakineh, cette Iranienne condamnée à mort par lapidation.
Les rebelles en pantalon sont conduites au poste de police
De l’Arc de Triomphe, où le premier coup d’éclat médiatique a eu lieu, au Trocadéro, les phallocrates diront certainement qu’en quarante ans le chemin parcouru par les militantes du MLF dépasse à peine le kilomètre. Contraception, droit à l’avortement, lutte pour disposer de son corps, leur répondront ces dernières. Même s’il est vrai que les années 1980 et 1990 ont été une période de reflux. Et que les actions un brin provocatrices, comme celle du 26 août 1970, ne sont plus au programme. Ce jour-là, à peine sortie de la voiture de son frère, Cathy Bernheim fond sur ses amies. Elles sont une dizaine, tentent de se frayer un chemin vers la tombe du soldat inconnu. Les policiers de l’Arc de Triomphe découvrent, interdits, une des banderoles que ces militantes déploient: "Il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme". Les hommes au képi font barrage. Et appellent, devant cette menace, deux cars de police en renfort. Les rebelles en pantalon sont conduites au poste et chantent à tue-tête tout le long du chemin.
"L’idée était de faire savoir que des femmes se réunissaient, que des groupes existaient, que la révolution était en marche", s’emballe Cathy Bernheim. Emmanuelle de Lesseps en était, elle aussi. "Nous n’arrêtions pas de rire. Il régnait un esprit de révolte et d’euphorie. Enfin, nous pouvions nous exprimer. Depuis, il y a eu des progrès, mais les luttes de libération ne finissent jamais", note cette femme discrète qui n’aime pas prendre la parole en public. Cathy Bernheim acquiesce. "Il reste encore beaucoup à faire. Par exemple dans le domaine du travail. Aujourd’hui, quand on parle des “familles monoparentales”, ça veut dire des femmes seules avec enfants. Et pour les nourrir, elles doivent accepter n’importe quel boulot précaire", s’offusque-t-elle.
Elles, les "anciennes", voient ces célébrations comme autant d’occasions de rencontres avec les "nouvelles" dont le collectif La Barbe ou Osez le féminisme. La sociologue et spécialiste de l’histoire du Mouvement de libération des femmes Françoise Picq relève qu’"il a fallu du temps à la nouvelle génération pour qu’elle se dise que tout n’était pas gagné. Aujourd’hui, elle tâtonne.
Un certain nombre de thèmes ont émergé, comme les violences, l’égalité des salaires ou la place des femmes dans la vie politique. Mais pas encore vraiment de thèmes mobilisateurs et qui unifient". Dans les années 1920, l’égalité des droits était le mot d’ordre. Cinquante plus tard, les femmes voulaient pouvoir disposer de leur corps. Et le militantisme repartait.
Aujourd’hui, l’époque de Mai-68 et du plein-emploi semble bien loin. « On ne peut plus prendre deux ans de notre vie pour militer », explique Caroline de Haas, d’Osez le féminisme. Ce qui n’empêche pas de mener des combats. Au rang des priorités, l’égalité professionnelle. "A poste égal, les femmes touchent toujours des salaires inférieurs de 27 % à ceux des hommes. Quant aux postes précaires, ils sont occupés à 80 % par des femmes", souligne l’animatrice de ce réseau né en 2009. Et de s’alarmer aussi contre les milliers de viols dont on ne parle pas.
A côté de ces luttes, "anciennes" et "nouvelles" restent conscientes qu’il faut aussi défendre leurs acquis, comme le droit à l’avortement. "En 2009, le gouvernement a voulu supprimer les subventions au Planning familial. Il a reculé et, au moins, ça nous a réveillées", affirme Caroline de Haas. Le 6 novembre prochain, plusieurs associations défileront pour défendre ce droit conquis en 1975. Sans doute l’occasion de retrouver Cathy Bernheim et ses amies. Pour l’heure, celles-ci ont quitté la place du Trocadéro pour aller refaire le monde au Café de l’Homme… Décidément.
* Une nouvelle édition du livre de Cathy Bernheim, Perturbation, ma sœur, paraît le 2 septembre aux éditions du Félin, 240 p., 11,50 euros.
Arthur Nazaret - Le Journal du Dimanche
Samedi 28 Août 2010
AFP
http://www.francesoir.fr/politique/aujourd-hui-le-mot-feministe-sonne-comme-une-grossierete.12780
“Aujourd’hui le mot féministe
sonne comme une grossièreté”
Juliette Demey et Sarah Lévy 26/08/10 à 11h15
Le 26 août 1970 marque l’acte fondateur de ce qui deviendra le Mouvement de libération des femmes. Quarante ans plus tard, les combats restent nombreux.
Un clin d’œil ? Pas seulement. Pour l’écrivain Cathy Bernheim, le rendez-vous a un goût spécial : il y a quarante ans, le 26 août 1970, elle était l’une des dix femmes qui brandissaient la banderole proclamant : « Un homme sur deux est une femme », sur les Champs-Elysées. Sous l’Arc de Triomphe, elles avaient déposé une gerbe « à la femme du soldat inconnu », avant d’être interpellées. Ce 26 août, « pour la première fois, la volonté politique des femmes de se faire entendre apparaît sur la place publique », explique Cathy Bernheim aujourd’hui.
Toujours des inégalités
Le mouvement de libération des femmes prendra ensuite son réel essor en France. Il a ses figures de proue : Simone de Beauvoir, Antoinette Fouque, Monique Wittig, Anne Zelensky ou Jacqueline Feldman. Quarante ans après, les acquis sont nombreux, de l’avortement à la pilule en passant par la parité…
Mais selon un sondage « Elle-Ifop », 75 % des femmes estiment que leur situation reste moins enviable que celle des hommes. Malgré 7 lois depuis 1972, elles gagnent toujours 27 % de moins que les hommes en moyenne. L’Assemblée nationale ne compte que 18 % de députées.
Sans parler des violences domestiques… Aujourd’hui, des mouvements comme Osez le féminisme, La Barbe ou les Chiennes de garde rappellent, chacun à leur façon, que ce combat pour l’égalité est d’actualité. « Chaque génération invente “son” féminisme », selon Christine Bard, historienne et sociologue. « Les jeunes femmes d’aujourd’hui sont confrontées à un monde plus dur et anxiogène que celui de leurs aînées. Elles ont besoin d’être soutenues, et non culpabilisées pour leur éventuel engagement. » Les aînées ont répondu présentes.
“Aujourd’hui le mot féministe sonne comme une grossièreté”
Porte-parole de la cause féministe dans le monde culturel et médiatique, l’ex-chroniqueuse de Laurent Ruquier n’a pas sa langue dans sa poche quand il s’agit de défendre les droits des femmes. Actuellement, elle prépare même un spectacle sur ce thème.
France-Soir. Qu’évoque pour vous le MLF ?
Isabelle Alonso. Le MLF n’est pas de mon temps ni de ma génération, pourtant c’est le mouvement par lequel tout est arrivé.
F.-S. Que représente le mot féministe pour vous aujourd’hui ?
I. A. C’est une partie de ma panoplie d’humaniste et de démocrate. Quelque chose de fondamental pour un meilleur équilibre dans le monde.
F.-S. Pensez-vous que les jeunes filles soient assez sensibilisées à la cause féminine de nos jours ?
I. A. Ce serait un miracle si elles l’étaient. Il y a une telle entreprise de démolition de l’idée du féminisme que c’est mal vu de militer pour les droits des femmes. Aujourd’hui le mot « féministe » sonne comme une grossièreté. Les hommes ont immédiatement l’image d’une femme frustrée. Beaucoup pensent que je ne les aime pas. C’est faux ! Je ne déteste pas les hommes. Au contraire…
F.-S. Comment la passion du féminisme vous est-elle venue ?
I. A. Quand j’étais enfant, les différences entre les filles et les garçons me gonflaient déjà. Je ne trouvais pas normal qu’on doive jouer à la poupée tandis qu’eux avaient tous les jouets téléguidés. Et puis mon père et ma mère n’ont jamais considéré comme légitime la différence faite entre filles et garçons. J’ai toujours été traitée comme mes frères.
F.-S. Pensez-vous qu’il y ait encore des raisons de se battre aujourd’hui en France ?
I. A. Bien sûr, on stagne en ce moment, il reste la lutte contre les inégalités salariales, les violences faites aux femmes, la question du port de la burka. Certes, les femmes se considèrent davantage comme les sujets de leur propre vie mais au niveau social et politique, on recule.
F.-S. Quelle solution s’offre-t-elle alors aux femmes ?
I.-A. Si on faisait toutes ensemble des actions plus radicales, comme celles de José Bové, peut-être qu’on se ferait mieux entendre… Dans tous les cas, il faut se sentir belle et rebelle par principe car c’est toujours plus constructif que de dire « oui papa », « oui chéri » ou « oui mon fils » comme le disaient les féministes des années 1970.
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